dimanche 16 mai 2010

Voyage en papier (1)

M'assoir et observer en silence les rues remplies de gens pour lesquels je suis un étranger. Entre les regards des citoyens d'une ville qui n'est pas la mienne, je n'arrive pas à vivre avec eux. Quelque chose ne s'agence pas correctement en moi. Quelque chose se dresse en barrière et place une vitre un peu poussiéreuse entre ces gens et moi. Il me semble que la vie à Paris, à Amsterdam, à Berlin, ne soit qu'une image, qu'une blague, qu'un simulacre démesuré du monde que je connais, de chez moi. Même temporairement, je ne peux me poser qu'en vecteur de vent éphémere sans complètement établir mon passage sinon en ne désirant pas le poser, pour l'instant.

Je n'arrive pas à éteindre ce sentiment que quelque chose ne va pas. Que d'un instant à l'autre, ce moment tacitement appréhendé apparaîtra soudain dans la rue avec moi. Je ne sais pas quoi penser de ces impressions qui m'envahissent ici parfois. Je voudrais vivre un instant dans ces villes que je traverse, mais dès que j'ouvre la bouche, on m'empêche de le faire. Mon lexique d'enfant attardé, mon accent, m'exposent au traitement qu'on accorde à ceux qui ne restent pas, qui glissent. Je n'arrive qu'à créer l'image que je vis avec eux. Une photographie silencieuse, qui dans le métro, parfois croise des regards, mais qui jamais ne parle.


©Charles Dionne 2010

4 commentaires:

  1. merci pour ce texte, Charles – me touche profond, parce que je pourrais quasiment écrire version symétrique pour 1 Français au Québec – alors que dans le gros bins de NY avec l'anglais on n'a pas ce sentiment-là – reste que tu convoques ce mot "traitement" et ça fait mal – c'est d'autant plus important ces échanges blog et qu'on se charge nous-mêmes intensifier que ça circule

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  2. "Je n'arrive qu'à créer l'image que je vis avec eux."
    phrase qu'on peut appliquer à une ex-Parisienne désirant "s'intégrer" dans un village de Provence.

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  3. Samedi 15 mai, sur la place Stalingrad, à Paris, avec les participants de l'atelier d'écriture que je mène en ce moment sur le thème de la ville, nous nous sommes assis chacun dans un café différent et nous avons décrit ce que l'on voyait, ce que l'on entendait à la manière de ce qu'avait tenté Georges Perec dans sa "tentative d'épuisement d'un lieu parisien".

    À certains moments, nous aussi nous nous sentions comme des étrangers, mais dans notre propre ville.

    Liminaire

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  4. quelques fois: c'est vrai; il vaut mieux garder le silence. On pourrait aussi bien crever de certains mots prononcés à côté de vous, c'est aussi simple que cela... Lorsque je suis égaré de la sorte, je m'assois aussi, vous permettez ? je pense d'abord à ceux qui n'ont pas pu y tenir , à ceux qui n'y tiendraient pas, je pense à toi R. qui n'a peut-être pas connu de fréro.
    Vous salue Charles

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